Succès pour la santé mondiale (édito de Marisol TOURAINE publié dans Challenges)

Succès pour la santé mondiale, la semaine dernière à Lyon, où la levée de fonds pour les actions des trois années à venir du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a atteint l’objectif de 14 Mds de $ fixé par E. Macron, organisateur de la conférence. Succès incontestable pour la France et son président, sans qui ce résultat n’aurait pas été atteint. En faisant publiquement pression sur les Etats riches réticents à s’engager, en augmentant la contribution française au Fonds Mondial de 20% pour la porter à 432 millions de $ par an (principalement financés par la taxe sur les billets d’avion et sur les transactions financières), E. Macron a bluffé les participants et même conquis des ONG initialement réticentes.

Mais ce succès est d’abord l’assurance de pouvoir sauver davantage de vies et éviter de nouvelles contaminations : l’ambition est d’éradiquer les trois pandémies à l’horizon 2030, un pas résolu a été franchi dans cette direction. Il est ensuite celui de l’approche nouvelle qui s’est imposée dans les années 2000, avec l’émergence de nouvelles structures, le Fonds Mondial et Unitaid, que je préside, rompant avec les cadres internationaux traditionnels, comme l’Organisation Mondiale de la Santé, mais travaillant étroitement avec eux, structures dans lesquelles les Etats, principaux financeurs, ont su partager le pouvoir avec d’autres, ONG, représentants des communautés de malades, fondations et autres acteurs privés. Des structures plus réactives, plus agiles, plus ciblées, capables de porter des stratégies d’innovation et d’investissement concret, qui ne s’opposent pas au marché mais cherchent à l’orienter, qui mesurent précisément leur impact et rendent compte de leur action en toute transparence.

Ce multilatéralisme pragmatique est efficace, mais il faut être attentifs à quelques signaux d’alerte. D’abord, sans l’engagement personnel du président Macron, l’objectif des 14 Mds de $ n’aurait pas été atteint, preuve que la conscience internationale des besoins en santé faiblit. Ensuite, ce succès signe aussi la faiblesse croissante des enceintes internationales classiques, embourbées dans la recherche de consensus interétatiques minimalistes. Or, ces organisations, notamment l’ OMS, restent incontournables car elles seules rassemblent l’ensemble des pays, riches et pauvres, alors que le Fonds Mondial se concentre sur les plus pauvres, en Afrique, et que peu de nouveaux gros donateurs se sont engagés. Une réflexion stratégique est à mener sur la manière d’accompagner les pays à revenu intermédiaire, par exemple en Amérique Latine et en Asie, qui disposent de moyens mais n’ont ni l’expertise ni les systèmes de santé adaptés pour traiter leur population et hésitent à s’engager internationalement, si l’on veut éviter l’émergence de nouveaux foyers de crise. Enfin, le Fonds mondial se consacre exclusivement à l’élimination des trois pandémies (VIH, tuberculose, paludisme), objectif évidemment essentiel mais qui ne doit pas faire oublier d’autres maladies, souvent négligées (Chagas, drépanocytose, leishmaniose…) qui tuent et appellent des réponses innovantes.

Et puis, disons-le tout net, le mode de fonctionnement de ces nouvelles structures est dominé par les acteurs anglo-saxons, rompus aux partenariats public-privé et à une gestion très « business oriented » des projets internationaux, alors que la France reste souvent plus attachée à la défense des valeurs et des principes qu’attentive à leur mise en oeuvre opérationnelle. Le succès de Lyon doit aussi permettre à la France, gros contributeur financier, de défendre plus efficacement ses positions.

Marisol TOURAINE

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