« La santé mondiale a besoin d’une Europe forte », tribune au Journal du Dimanche

« Le jour même où la stratégie de l’Organisation mondiale de la santé faisait face à des attaques en règle de la part de certains États, à l’occasion de son assemblée générale annuelle, Emmanuel Macron et Angela Merkel proposaient que l’Union européenne se dote d’une politique de santé. Cruel duel d’images. L’OMS devra rendre des comptes, mais les erreurs commises, réelles, ne peuvent et ne doivent mener à un affaiblissement du multilatéralisme, c’est-à-dire de l’action internationale coordonnée. Le président français et la chancelière allemande l’ont compris, alors que la gestion de la crise du Covid-19 a d’abord été marquée par le retour en force des États nationaux.

En s’attaquant aux faiblesses européennes, ils ont franchi un pas politique important de nature à donner du sens à une Europe en manque de projet concret, répondant aux préoccupations quotidiennes des citoyens. En proposant de constituer des stocks stratégiques européens (masques, vaccins, etc.), ils opposent une vision positive à tous ceux qui voient dans cette crise l’opportunité d’un nouveau souverainisme : la reconquête de la souveraineté économique passe aussi par l’Europe.

Une Europe forte serait un atout pour défendre les valeurs d’universalité et d’accès à la santé de tous

Mais cette proposition franco-allemande résonne au-delà des frontières de l’Union. Face aux risques sanitaires mondiaux, une réponse mondiale s’impose comme une impérieuse nécessité et dans le concert international, une Europe forte serait un atout pour défendre les valeurs d’universalité et d’accès à la santé de tous. Face à l’affaiblissement des institutions internationales classiques, un nouveau multilatéralisme de projet né de la lutte contre le sida s’est imposé, pragmatique et opérationnel, autour des organisations spécialisées dans la santé comme Unitaid, qui investit plus particulièrement pour mettre en place les conditions de l’accès concret aux traitements et aux soins dans les pays du Sud.

Unitaid et ses partenaires se sont mobilisés autour d’une idée simple : l’humanité fait face à une épidémie sans frontières, la riposte ne doit pas en avoir. Cela a abouti le 24 avril dernier au lancement d’une coalition internationale qui doit permettre d’accélérer la recherche, la production et la mise à disposition de tests diagnostic, de traitements et, souhaitons-le, de vaccins, partout dans le monde, au nord comme au sud. L’engagement, déjà, d’Emmanuel Macron, d’Angela Merkel et d’Ursula von der Leyen a permis de lever plus de 7,4 milliards de dollars.

Le succès a été au rendez-vous dans la lutte contre le sida. Il peut l’être à nouveau face au Covid-19

Cet engagement est indispensable financièrement. Il l’est aussi politiquement. Il ne suffira pas de disposer de traitements et d’un vaccin, il faudra qu’ils soient accessibles à tous, partout, au nord comme au sud et que ceux qui en auront besoin puissent y accéder. Les traitements et les vaccins doivent être considérés comme des biens publics mondiaux. Les entreprises pharmaceutiques doivent s’engager aussi à ce que les quantités suffisantes de traitements soient disponibles à faible coût, en partageant leurs connaissances et leurs brevets. Le faux-pas de Sanofi, il y a quelques jours, a montré l’ampleur de la tâche. L’attitude des États-Unis prouve que le nationalisme économique est porteur de dangers humanitaires.

Unitaid a inventé, avec le Medicines Patent Pool, les instruments juridiques et opérationnels permettant de répondre à ce double défi : produire assez de traitements pour tous ceux qui en ont besoin, les proposer à faible coût. Le succès a été au rendez-vous dans la lutte contre le sida. Il peut l’être à nouveau face au Covid-19. À condition que chacun, du côté des États comme des industriels, joue le jeu. On voit bien que face aux industriels, face à certains États, doit s’exprimer une vision solidaire et humaniste de la santé mondiale. Cette vision, l’Europe et les Européens peuvent mieux que quiconque la porter car elle résonne avec leurs valeurs fondatrices. Mais l’Europe pèse peu aujourd’hui en la matière : si l’Europe de la santé voit le jour, elle sera un atout de poids pour promouvoir ces valeurs et permettre à la communauté internationale d’être au rendez-vous de l’Histoire. »

Marisol TOURAINE

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