Interview de Marisol TOURAINE à Challenges : « Sur l’hôpital, le gouvernement a perdu du temps »

Le gouvernement prépare un « plan massif » d’augmentations et d’investissements pour les hôpitaux, quelles doivent en être les priorités ?

Les hôpitaux pendant la crise du Covid-19 ont fait preuve d’une inventivité, d’une réactivité et d’une excellence que nombre de pays nous envient. Ils n’ont pas fait que « résister » face à l’afflux de malades, ils ont inventé de nouvelles solutions. Parmi leurs prouesses, je pense aux transferts en hélicoptère ou train de quelques 600 malades entre des établissements de différentes régions. C’est cette excellence et cette capacité d’innovation permanente que le futur plan doit conforter et garantir.

Dès lors, que faut-il faire maintenant pour les hôpitaux ?

La priorité me semble être une augmentation salariale, pour que les métiers de l’hôpital soient justement reconnus et restent attractifs. Ces augmentations doivent d’abord concerner les personnels soignants non médicaux, les infirmiers et aides-soignants. C’est à eux qu’il faut s’adresser en premier, à travers une augmentation significative de leur salaire.

Les médecins hospitaliers doivent-ils aussi voir leur rémunération augmenter ?

C’est au Gouvernement de dire l’enveloppe qu’il veut attribuer à cette revalorisation. Il lui faudra évidemment tenir les engagements pris, rien ne serait pire que des promesses non tenues. Lorsque j’étais en responsabilité, mon choix avait été de prendre des mesures ciblées, pour renforcer l’attractivité de certaines spécialités souffrant de pénuries de professionnels (comme l’anesthésie) ou de certains territoires (ruraux par exemple).

Vous avez été ministre de la Santé de 2012 à 2017 sous François Hollande, président socialiste, comment expliquez-vous cette paupérisation des personnels hospitaliers depuis dix ans ?

Pendant cette période, j’aurais évidemment préféré obtenir les moyens d’une revalorisation significative et générale des salaires. Il est faux de dire que rien n’a été fait : des primes ont été versées, des carrières revalorisées, par exemple celles sages-femmes. Nous avons également revalorisé en 2017 le point d’indice, qui sert de base de calcul aux rémunérations des 5 millions de fonctionnaires, dont les personnels hospitaliers, malgré l’opposition alors de la fédération Hospitalière de France. Encore une fois, j’aurais évidemment souhaité obtenir davantage de moyens. Au-delà des rémunérations, des engagements significatifs ont été pris : le budget global des hôpitaux a augmenté de 10% et les effectifs de 56.000 personnes en cinq ans.

Mais parallèlement, avec le vieillissement de la population et les progrès médicaux, l’activité des hôpitaux augmentait de près de 15 % et les personnels devaient être toujours plus productifs…

A l’évidence, nous ne sommes pas allés assez loin dans les augmentations salariales pour les personnels hospitaliers. Mais nos marges de de manœuvre étaient très restreintes. Nous devions réduire le déficit de la Sécurité sociale, qui avait été considérablement creusé sous Nicolas Sarkozy. En 2017, nous avons laissé les comptes de la Sécurité sociale quasiment à l’équilibre. Au début de son quinquennat, Emmanuel Macron disposait donc de ressources plus importantes pour d’éventuelles mesures salariales dans les hôpitaux. La politique hospitalière du quinquennat de F. Hollande a été sérieuse mais jamais nous n’avons franchi les lignes rouges que j’avais fixées en termes d’accès aux soins et de prise en charge des malades. Ainsi, les hôpitaux de proximité ont été confortés grâce à la création de groupements hospitaliers de territoire, Ma politique hospitalière était fondée sur trois principes : garantir la présence hospitalière dans les territoires, mieux organiser la relation entre l’hôpital et la médecine de ville (avec la création des communautés professionnelles territoriales de santé), garantir à tous ceux qui sont sur en France l’accès à la santé.

Emmanuel Macron a trop tardé à prendre la mesure du malaise dans les hôpitaux…

Le gouvernement actuel a voulu à tout prix se démarquer dans le discours de ce qui avait été fait sous le quinquennat précédent. Résultat, il a perdu du temps à élaborer une stratégie et un projet de loi qui ont in fine largement repris nos objectifs et les outils que nous avions lancés pour réformer le système de soins. S’il avait amplifié notre stratégie dès 2017 plutôt que de plancher sur une nouvelle réforme qui n’a été votée qu’en 2019, les hôpitaux auraient ressenti les effets du changement plus vite.

A quelles mesures pensez-vous ?

Au-delà des réformes que j’ai énoncées plus haut, la loi Santé de 2015 visait déjà à diminuer la part du financement des hôpitaux strictement liés à la quantité des actes, la fameuse T2A, pour mieux rémunérer la qualité de la prise en charge des patients et s’adapter à une « médecine de parcours » .

Faut-il supprimer les 35 heures dans les hôpitaux ?

La mise en place des 35 heures ne s’est pas accompagnée de suffisamment d’embauches. Cela étant, des réorganisations sont intervenues au fil des années. Que veut-on dire en parlant de la suppression des 35 H ? Qu’il faut augmenter la durée du temps de travail légal ? Drôle de conception du progrès social…S’il s’agit de mieux payer les heures supplémentaires, pourquoi pas. Mais pour le moment, ce discours tient plus du slogan que du projet.

Comment réduire la bureaucratie à l’hôpital ? Est-ce en redonnant plus de pouvoir aux médecins dans la direction des hôpitaux ? En renforçant le poids des médecins chefs de service ?

Les médecins et leurs équipes se plaignent de la « paperasserie », de procédures lourdes. Il faut alléger les contraintes bureaucratiques qui pèsent sur les médecins à l’hôpital, et donner des marges de manœuvre aux hôpitaux et à leurs équipes dans la gestion de leurs budgets. Cela dit, aucun directeur d’hôpital ne peut imaginer que l’Etat lui verserait des budgets sans qu’il ait de comptes à rendre sur leur utilisation.

Ce contenu a été publié dans Divers. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *