«Un droit sur la fin de vie comme il y a un droit sur l’IVG»

Aide médicale à mourir ou à procréer… Marisol Touraine fait le point sur les positions du PS en matière de bioéthique. Propos recueillis pour Libération par Eric FAVEREAU.

Marisol Touraine, députée socialiste de l’Indre-et-Loire, dont elle est présidente du conseil général, est en charge des questions sociales et de santé dans l’équipe de campagne de François Hollande.

« Mariage gay, possibilité ouverte d’aide à mourir, recherche autorisée sur les cellules souches… Peut-on parler de changement de valeurs sur ces questions avec le candidat socialiste?
Ce sont des évolutions significatives, qui, pour certaines, figuraient dans le programme du Parti socialiste. Cela marque un vrai changement. L’enjeu est de prendre en considération l’évolution de la société, et de ne pas considérer qu’il y aurait une sorte de droit immuable. François Hollande ne se situe pas dans une démarche revendicatrice ou identitaire. Il n’est pas dans la revendication d’une hypothétique modernité. Il est beaucoup plus dans la recherche de l’apaisement, de solutions qui répondent aux préoccupations, aux attentes et aux situations vécues.

Donc, ce n’est pas la revanche des valeurs de gauche contre des valeurs de droite ?
Il ne s’agit pas de revanche politique, mais de mouvement, de progrès social. La société évolue, et nous devons en permanence nous interroger sur les règles que l’on doit s’appliquer. Il s’agit de trouver et défendre un équilibre social. On nous dit : «Mais qu’est ce qui garantit que, dans trente ans, les brèches que vous allez ouvrir ne vont pas évoluer ?» Mais je ne sais pas ce que sera la société dans trente ans ! Il y a des points, certes, sur lesquels on peut anticiper, mais la société doit construire des règles pour vivre ensemble. Et, par exemple sur la question de la fin de vie, il faut rompre avec une forme d’hypocrisie sociale.

C’est-à-dire ?
Il ne s’agit pas de prôner l’aide active à mourir pour tout le monde. Il s’agit d’ouvrir un droit, comme il y a un droit pour l’IVG. C’est la liberté de chacun d’en user ou pas.

En somme, il s’agit de s’adapter plutôt que mettre en avant certaines valeurs ?
Ce sont les deux. Quand je dis s’adapter, c’est aussi constater que les valeurs qui traversent la société évoluent. C’est toujours mettre en avant des valeurs, comme la liberté, la responsabilité individuelle et la dignité de chacun en toutes circonstances. Les femmes et les hommes sont capables et responsables de choisir leur destin. La droite parle de liberté mais pratique la défiance. On a le sentiment qu’il y a eu comme un étouffement du débat ces dernières années. Il faut, aujourd’hui, ouvrir les fenêtres, mettre en place des avancées, mais il ne s’agit pas de tout bouleverser.

Comment cela va-t-il se traduire pour le mariage gay ?
Ce n’est pas le mariage gay, c’est le mariage tout court. Cela va se traduire simplement par une loi qui lèvera toute ambiguïté sur le fait qu’un couple est composé de deux personnes, quel que soit leur sexe. Le même droit pour tous. Et chacun reste libre de se marier ou pas.

Et sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?
C’est un débat qui existe depuis des années : il y a eu l’interdiction, puis l’interdiction avec dérogation. Au nom de quel argument peut-on empêcher de faire des recherches qui sont susceptibles de déboucher sur de nouveaux traitements ? Il y a des limites, ce sont les principes fondamentaux de non-marchandisation du vivant et de respect absolu de la dignité humaine mais, à partir de là, l’objectif doit être de faire progresser la connaissance, de manière encadrée, pour faire progresser les réponses thérapeutiques. Nous, nous croyons au progrès scientifique, à la recherche, au développement de la connaissance. Alors, on autorise ces recherches, de façon bien encadrée et évaluée.

Et l’aide médicale à la procréation ?
Jusqu’à présent, l’aide à la procréation n’était possible que pour des raisons médicales (lutte contre l’infertilité), et non sociales… Là, c’est du pragmatisme. A partir du moment où il y a des couples de même sexe – l’homoparentalité est de facto reconnue -, il y a l’ouverture pleine et entière des droits à l’adoption, mais également de l’accès à l’aide médicale à la procréation.

Une femme seule pourra-t-elle en bénéficier ?
L’aide médicale à la procréation sera réservée aux couples.

Vous ouvrez ensuite la porte à «l’euthanasie» ?
On ne parle pas d’euthanasie, car ce mot est trop flou, certains le comprennent comme le suicide assisté, que nous refusons absolument de légaliser. A nos yeux, il ne s’agit pas d’opposer les soins palliatifs et l’assistance active à mourir. Je trouve scandaleux la position qui consiste à dire que l’on est soit d’un côté, soit de l’autre. Comme si l’on devait choisir son camp. Et le gouvernement n’a pas de leçons à donner sur ce terrain quand on voit l’indigence des moyens pour les soins palliatifs en France, et sur l’information apportée.

Mais votre position ?
Ce n’est pas une position idéologique. Nous espérons que le plus de gens possibles trouveront un soulagement et une envie de vivre quand même, avec des soins palliatifs ou curatifs. Mais pour les autres ? Qui peut se substituer à la volonté d’une personne ? Qui peut se substituer à un malade qui constate que la façon dont il vit ne correspond pas à sa conception de la vie ? Chacun doit pouvoir vivre conformément à ses attentes, à son idée de la dignité.

Donc, que feriez-vous ?
Nous constatons que la loi dite Leonetti, de 2005, permet le laisser mourir. Aujourd’hui, il s’agit de permettre d’aider à mourir. La frontière est certes ténue, et les modalités seront à discuter avec tous les acteurs. Il s’agit de fixer un cadre très strict de recueillement du consentement de la personne. Il s’agit d’encourager les directives anticipées, comme la désignation des personnes de confiance ; de garantir, aussi, le dialogue entre le médecin, les soignants, le malade et sa famille. Au final, le médecin ne doit pas être seul, il faut un collège de soignants, et respecter, bien sûr, l’objection de conscience pour le médecin. Et dans ce cadre strict, permettre une aide active à mourir.

François Hollande reste opposé aux mères porteuses. Pourquoi ?
Car il y a marchandisation du corps, je ne vois pas comment on peut l’éviter, donc on ne le permet pas. La frontière, là, est franchie.

Mais reconnaissez-vous les enfants, nés à partir d’une gestation pour autrui (GPA) ?
Le sujet est difficile, car il s’agit de situations complexes. Il faudra un débat qui permette de trouver une réponse juridique sans pour autant constituer une incitation à la GPA. »