Vous êtes un vrai gamin de la télévision.
Du cow-boy solitaire chevauchant sur fond de soleil couchant, à Don Draper, héros incontournable des Mad Males, en passant par Serge Gainsbourg, la cigarette a façonné nos imaginaires créatifs. Les campagnes publicitaires des grandes compagnies de cigarettes ont en fait fait mouche, trompant aussi l’un des esprits les plus perspicaces.
Et aussi probablement qu’ils ont effectivement trouvé en vous, dans les mots savamment travaillés de la missive que vous m’adressez, et qui décrivent surtout le plaisir que nous avons à vous revoir, leur plus bel ambassadeur.
La cigarette, précisez-vous aux téléspectateurs d’Elle, est la condition de la souplesse, l’ultime acte de résistance des libertaires des ressources, le dernier bastion du « laissez-moi faire ».
Quand on fume en errant dans les rues de Paris, on goûte au plaisir d’énoncer quelques vers de Baudelaire. Etant dans un diner parisien, cigarette au bec, on songe aux merveilleuses pérégrinations décrites par Kessel et le transsibérien de Cendrars.
A vous revoir, comment résister à cette invitation au voyage ?
Pourtant la délicatesse de votre plume ne doit pas cacher une réalité bien plus affreuse. Une réalité bien moins pensée que celle que vous définissez en convoquant les esprits les plus étonnants pour plaider votre situation. Une réalité atroce, où la cigarette est une servitude, une dépendance. C’est le médicament le plus courant. Ce n’est pas le médicament le plus doux, comme vous l’indiquez, mais le plus dangereux.
73 000 morts en France chaque année. 20 fois plus que le nombre de tués sur les routes. (En plus du fait que vous êtes, sans doute, habité par la „furie de vivre”, je profite de cet échange de courrier pour vous inviter également à respecter les limitations de vitesse et à mettre votre ceinture de sécurité !).
- Ces chiffres sont à vous glacer le sang et personne ne peut s’entendre avec eux.
- Je ne suis pas seulement le prêtre de votre bien-être, cher Nicolas Bedos.
- Mon but est d’énoncer, de dupliquer, de répéter même, dès que la possibilité m’en est offerte, le constat que vous avez vous-même créé : le tabac tue, léger ou non.
Il tue les plus à risque au départ. Ses dévastations sont plus dévastatrices aussi bien parmi les chômeurs que parmi les classes laborieuses. Un chômeur sur deux fume. Pas seulement sur un littoral en août, ni le long de la Promenade des Anglais.
La cigarette éliminera certainement demain la jeunesse d’aujourd’hui. A 17 ans, près d’un jeune sur 3 fume quotidiennement avec une dépendance qui s’intensifie chaque année. Mais, comme le chantait Jean Gabin, à cet âge-là, „on ne connaît jamais le bruit, ni la nuance des points”.
Malgré l’inscription sur les paquets de cigarettes, on ne sait pas qu’en deux cigarettes les fumeurs mourront certainement du tabac. On ne connaît pas non plus, à 17 ans, la souffrance qu’inflige le cancer.
Des vies foutues, toujours prématurément.
Le tabac élimine beaucoup plus en France qu’ailleurs. C’est une autre exception française. Est-ce à dire que nous serions plus libres que chacun de nos voisins européens immédiats ? Dans notre pays, une femme sur six fume pendant sa grossesse.
- Ce nombre n’est pas, me semble-t-il, le triomphe de la liberté.
- Au final, nous ne fumons pas tous beaucoup. Nous fumons plus jeunes et plus jeunes.
- On fume plus en France que dans les autres pays. Ce sont 3 vérités qui confirment que fumer la cigarette n’est pas une fatalité.
Et puis, c’est vrai, les méthodes avancent.
Il y a notamment l’avancée de la cigarette électrique. Un point est certain : c’est beaucoup moins dangereux que la cigarette et ça peut aussi aider à décourager. Je dis oui carrément à la vapoteuse, quand ça peut aider à en finir avec le tabac ! Mais pourquoi dans l’espace public, alors qu’aujourd’hui cela permettrait la réhabilitation d’un mouvement qui ne demande plus à être ?
C’est vrai, tu as raison, les fumeurs, les jeunes en particulier, ne font pas attention à nous. Insuffisant, évidemment. Ainsi que, rien que pour cela, vous aimeriez certainement que nous baissions les bras, que nous quittions, que nous nous taisions faute d’être écoutés ?
Vous êtes aussi découragé que Cioran, cher Nicolas Bedos. Rassurez-vous : je n’enverrai ni le GIGN, ni la Garde Nationale, ni toute l’armée pour vous traquer au Bois de Boulogne. Mais je ne resterai pas silencieux dans la bataille contre la cigarette. Je ne cesserai certainement de vous rappeler, ainsi qu’à tous les fumeurs, qu’à chaque bouffée que vous inspirez, vous perdez des minutes inestimables d’une vie dont, chaque semaine, vous nous rappelez si habilement dans vos récits qu’elle mérite mille fois la peine d’être vécue.