« Ma priorité ? La liberté des femmes à disposer de leur corps » : interview de Marisol TOURAINE à Metronews

A l’occasion de la Journée internationale des Droits des femmes, Marisol TOURAINE a répondu aux questions de Anaïs CONDOMINES, journaliste à Metronews.

Vous pouvez lire l’interview ci-dessous ou sur le site de Metronews en cliquant ici.

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ENTRETIEN EXCLUSIF – L’année 2016 marquera des avancées pour la santé des femmes. C’est du moins l’ambition affichée de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. A l’occasion du 8 mars et de la journée internationale des droits des femmes, elle présente sa feuille de route à metronews. Au programme : la prise en charge des femmes victimes de violences, le droit à l’oubli des anciennes malades du cancer du sein, et une annonce : la publication, ce mardi de l’arrêté permettant le remboursement intégral des frais d’IVG.

2016 sera une année chargée en matière de santé des femmes. Quelle est votre priorité ?

C’est d’abord la liberté des femmes à disposer de leur corps : en favorisant l’accès à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse. C’est aussi le refus des violences et la prise en charge par des professionnels des femmes victimes de violences. J’ajouterai la nécessité de renforcer les dépistages et la prévention en matière de cancers : avec des comportements qui se rapprochent de ceux des hommes – je pense notamment au tabac – les femmes doivent être alertées. Pour l’année qui vient, il s’agit de dire aux femmes : prenez soin de vous.

En matière d’interruption volontaire de grossesse, notamment, vous avez souhaité aller plus loin…

Je vous annonce qu’aujourd’hui est publié l’arrêté permettant aux femmes d’être prises en charge à 100% pour tout le parcours IVG (pour une entrée en vigueur au 1er avril, ndlr). Car l’IVG, ce n’est pas simplement l’acte en lui-même, ce sont aussi les consultations associées comme les examens, les échographies… Dorénavant, elles seront remboursées à 100%.

On sait que des disparités de prise en charge existent entre les villes et les zones rurales. N’est-ce pas là que se situe, pour beaucoup de femmes, l’obstacle majeur au droit à l’avortement ?

Garantir l’accès géographique à l’IVG est aussi une de mes priorités. L’année dernière, j’ai lancé un plan pour garantir l’accès à l’IVG sur tout le territoire. J’ai demandé à chaque agence régionale de santé (ARS, ndlr) d’identifier les lieux dans lesquels sont pratiqués les IVG et de faire en sorte que partout, cet accès soit garanti. Dans le département dans lequel je suis élue, par exemple, il y a quelques mois à peine s’est mis en place un nouveau centre IVG en zone rurale, à Loches, parce qu’une demande est apparue et qu’il fallait y apporter une réponse.

Aujourd’hui, un médecin peut encore refuser de pratiquer une IVG. La clause de conscience qui s’applique à leur profession est-elle intouchable ?

Vous savez, si un médecin refuse de faire une IVG, il a l’obligation de faire en sorte que la femme soit redirigée vers un confrère. Donc le vrai sujet, c’est celui de la présence de professionnels et de l’accès à l’orientation et à l’information. C’est pour cela que j’ai lancé une campagne pour rappeler que l’IVG est un droit, qu’il n’y a pas à se sentir coupable d’avorter.

Certains sites ont fait de la culpabilisation des femmes leur business – ivg.net par exemple – passent régulièrement devant le site du gouvernement dans les moteurs de recherche. Où en êtes-vous de votre bataille numérique ?

C’est un sujet de préoccupation pour moi. Mon premier message, c’est de dire aux femmes que le seul site officiel, c’est celui du gouvernement. (ivg.social-sante.gouv.fr). Il y a des sites très pervers, parce qu’ils se présentent comme neutres mais font tout, en réalité, pour dissuader les femmes d’avorter. C’est pour ça que j’ai engagé des actions de référencement y compris payant. Le ministère travaille à la façon de garantir dans la durée un référencement stable.

Le délit d’entrave à l’information sur l’IVG existe. Pourquoi ne pas faire appel à la justice ?

Tout ce qui est juridiquement faisable est fait et sera fait. Mais le délit d’entrave, il faut le caractériser.

Donc, pour le moment, le ministère n’engage aucune poursuite contre ivg.net ?

Non, pour le moment nous nous concentrons sur notre site et nous regardons ce qui est possible de faire juridiquement.

Le droit à l’oubli pour les anciens malades du cancer est un de vos combats. Il concerne aujourd’hui cinq cancers et l’hépatite C. Pourquoi pas davantage ?

Les travaux des experts sont en cours. Ce n’est pas l’administration qui décide de ça. Ce sont des recherches, pilotées par l’institut national du cancer, à partir de travaux scientifiques. Ce sont les médecins, les chercheurs, qui avancent et peuvent proposer ces grilles. Moi, je ne peux que demander qu’on aille le plus vite possible. Dès cette année, des malades de certains cancers du sein auront le droit à l’oubli au bout d’un an. Concrètement, ça veut dire qu’une fois considérée comme guérie par le médecin, une ancienne patiente n’aura plus besoin de déclarer à sa banque qu’elle a été malade.

Les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes. Dans votre feuille de route, aucun plan ne figure pour les combattre…

Les grands plans ne sont pas nécessairement la bonne manière de lutter contre les maladies. Aujourd’hui, l’accent est plutôt mis sur les bons comportements, avec pour objectif d’informer les femmes sur des maladies qu’elles croient être celles des hommes. C’est pour ça que nous luttons contre les facteurs des maladies cardio-vasculaires, comme le tabagisme, l’alcoolisme et une mauvaise alimentation.

En 2014, on vous a remis un protocole sur l’amélioration et la prévention de la prise en charge des femmes victimes de violences. Qu’est-ce qui a été fait concrètement ?

Si la victime se rend d’abord dans un hôpital plutôt qu’au commissariat, il doit y avoir désormais, dans chaque service d’urgence à l’hôpital, un référent en charge des violences faites aux femmes. L’objectif est que le lien avec le commissariat soit établi rapidement, pour favoriser une unité de lieu. Nous avons aussi organisé une formation pour l’ensemble des professionnels de santé, afin d’offrir une meilleure prise en charge des femmes victimes de violences.

Mais si la victime se rend d’abord au commissariat, une enquête que nous avons réalisée démontre que la femme est alors bien souvent livrée à elle-même…

SI elle va dans un commissariat, normalement, on prend sa plainte et on doit établir un contact avec l’hôpital. Le chemin reste long pour améliorer la prise en charge des victimes de violences… Néanmoins, il me semble que l’accueil et le recueil de la plainte dans les commissariats ont grandement évolué ces dernières années. Mais encore faut-il y aller. La culpabilité est encore là trop souvent. Nous devons dire collectivement que toutes les violences faites aux femmes sont inacceptables et insupportables.

Une pétition a été lancée il y a quelques mois pour demander davantage de transparence sur la composition des produits hygiéniques. En avez-vous pris connaissance ?

Oui. J’ai engagé une démarche auprès de l’Union européenne, dans le cadre du programme Reach sur les produits chimiques, pour disposer de davantage d’informations sur la composition des protections hygiéniques. Par ailleurs, j’ai interrogé les fabricants, qui disent que leurs produits ne sont pas toxiques. Je n’ai pas de mon côté d’éléments permettant de douter de cette affirmation. J’ai donc demandé au centre anti-poison de Nancy de mener des investigations : elles sont en cours.

Trouvez-vous normal qu’il n’y ait aucune législation européenne en la matière ?

Encore faut-il être certain qu’il y a des produits toxiques. Mais je suis toujours favorable à l’affichage de la composition des produits. Je me bats pour ça en ce qui concerne les produits alimentaires ou les médicaments. Je crois qu’on a toujours tout à gagner à la transparence.

Vous soutenez une campagne du collectif « Agir contre l’endométriose ». Comment expliquer que cette maladie gynécologique ait dû attendre si longtemps avant d’entrer dans le débat public ?

Parce que c’est une maladie mal identifiée. Entre 6 et 10% des femmes en souffriraient. Beaucoup d’entre elles se disent que des règles douloureuses, c’est normal. C’est là toute la difficulté de faire la différence entre ce qui est normalement désagréable et ce qui est pathologique. Tout ce qui est en rapport avec le corps des femmes, la sexualité et les règles reste mystérieux, tenu à l’écart. C’est pour cela qu’il faut en parler publiquement aujourd’hui.

Une entreprise britannique a décidé d’offrir un jour de congé par mois aux salariées qui le souhaitent pendant leurs règles. Pensez-vous qu’une telle mesure puisse arriver en France ?

Je ne suis pas sûre que cela soit souhaitable. Les règles font partie de la vie des femmes et ne les ont jamais empêchées de travailler. Et je dis aussi : attention, danger ! Ce jour de congé pourrait-il tomber au moment de réunions importantes ? Il faut tout faire pour que la période des règles soit simple, non douloureuse, mais n’en faisons pas une maladie.