Marisol TOURAINE a répondu aux questions de Pierre-Alain FURBURY, dans une interview publiée ce jour dans Les Echos.
Alors que Jean Castex doit exposer ce jeudi la stratégie de vaccination, « le gouvernement n’a pas le droit à l’erreur tant les enjeux sont décisifs », alerte l’ex-ministre des Affaires sociales et de la Santé, dans une interview aux « Echos ». Présidente de l’organisation Unitaid, elle appelle les pays riches à « mettre les bouchées doubles » pour endiguer l’épidémie au niveau mondial.
L’exécutif a-t-il raison de s’orienter vers une vaccination « progressive » ?
D’abord, l’arrivée prochaine de plusieurs vaccins est une excellente nouvelle. La mobilisation des chercheurs comme des Etats a été spectaculaire. Et pour la première fois, l’Union européenne a négocié collectivement, ce qui est une grande avancée. Pour autant, des inconnues sur les propriétés des vaccins demeurent et les doses vont arriver progressivement. La vaccination va donc s’étaler sur des mois : ce n’est pas un choix ; c’est une contrainte.
Le gouvernement aura à relever un triple défi : convaincre les Français de se faire vacciner ; expliquer à une partie de ceux qui sont partants qu’ils vont devoir attendre ; et faire accepter pendant plusieurs mois encore, alors qu’on vaccinera, des restrictions dans la vie sociale. Ce cocktail est potentiellement détonant. Il suppose que le gouvernement ait une stratégie claire, une logistique impeccable et qu’il s’engage dans un discours de conviction plutôt que de coercition. Le gouvernement n’a pas le droit à l’erreur tant les enjeux sont décisifs.
Que feriez-vous, concrètement, si vous étiez toujours ministre ?
A chacun ses responsabilités. C’est le gouvernement qui dispose des informations nécessaires et sait donc ce qui peut se faire. Quels que soient ses choix, il faut qu’il les annonce vite, de façon précise, opérationnelle. On ne peut pas renouer avec des queues à n’en plus finir comme pour les tests. L’essentiel, dans une telle crise, c’est la confiance et c’est ce qui a le plus manqué.
Imaginer qu’on pouvait tout faire bien du premier coup est illusoire et chacun peut comprendre qu’on tâtonne face à une crise inédite et un virus inconnu. Mais ce qui passe mal, ce sont les injonctions parfois contradictoires, assénées plutôt qu’expliquées. Lorsque des règles ne sont pas comprises, elles ne sont pas acceptées. De ce point de vue, la création, d’un collectif citoyen, bien que tardive, va dans le bon sens.
Vous ne craignez pas que ce soit un gadget ?
La démocratie n’est jamais un gadget. La démocratie sanitaire a été la grande absente de cette crise, sans aucune justification. La concertation avec les associations de patients ou d’usagers, l’échange avec les citoyens ont manqué. Il est crucial que les Français intériorisent de nouveaux comportements, puissent interroger et faire des propositions. Voyez, après un temps d’incertitude, le port du masque n’est plus un enjeu.
Emmanuel Macron a-t-il raison d’exclure une vaccination obligatoire ?
Oui. Dans un contexte d’interrogation voire de franche défiance, il faut parier sur la conviction, la pédagogie et la responsabilisation. Rien ne serait pire qu’une vaccination obligatoire qui ne serait pas respectée.
Vous avez vous-même rendu des vaccins obligatoires…
Je ne suis pas très inquiète sur la volonté des Français de se faire vacciner dans la durée , dès lors que les vaccins seront accessibles, mieux connus, et que le processus de vaccination fonctionnera bien. Les premières semaines de la campagne de vaccination seront donc déterminantes. Les Français attendent d’être convaincus par la qualité du processus engagé. L’organisation de la campagne doit être à la hauteur.
Comment expliquez-vous de telles réticences, en France, face aux vaccins ?
Cela traduit pour beaucoup une remise en cause de la parole officielle. La crise de la grippe H1N1 a eu un impact catastrophique sur la vaccination. Mais il y a aussi une défiance nouvelle à l’égard de la parole scientifique et la cacophonie des derniers mois n’a pas aidé. Il est donc important de pouvoir travailler en lien direct avec l’opinion, comme cela avait été fait en 2016 pour préparer la vaccination obligatoire de 11 vaccins. Le « Monsieur ou Madame vaccins » annoncé aura un rôle décisif.
Dans l’attente du vaccin, comment éviter une troisième vague ?
Le vaccin arrive mais nous ne sommes pas sortis, c’est vrai, de la période de tension. Seuls le respect des gestes barrières, une limitation des activités sociales, l’attention de chaque instant portée aux plus fragiles peut nous permettre de franchir sereinement cette étape transitoire.
L’exécutif a-t-il trouvé le bon équilibre entre crise sanitaire et exigences économiques ?
Le premier déconfinement a été de l’aveu même du Premier ministre trop rapide. Il a créé le sentiment qu’un retour immédiat à la vie d’avant était possible. Les principes qui ont fondé la sortie du deuxième confinement me paraissent en revanche plus équilibrés. Personne ne peut se satisfaire d’une économie à l’arrêt.
Le déconfinement progressif était un bon choix et, selon moi, la seule option pour concilier impératifs sanitaires et préoccupations économiques. La difficulté, c’est la tonalité de sa mise en oeuvre. L’affaire des églises, des commerces dits « non essentiels » ou des stations de ski montre que le gouvernement a du mal à croire au sens des responsabilités des citoyens.
Vous semblez tout de même moins dure que les oppositions…
La situation est suffisamment difficile pour ne pas faire la leçon au gouvernement. Le temps du bilan viendra nécessairement. Je ne sais si quelqu’un peut penser qu’il aurait à coup sûr fait mieux. Mais je n’en suis pas moins critique sur le manque d’anticipation à la fin de l’été, l’absence de messages de précaution nets. Il y a eu un échec de la stratégie « tester, tracer, isoler » . Si certaines insuffisances et défaillances étaient compréhensibles dans la première phase, elles ne l’étaient plus alors.
Des tests massifs sont annoncés dans trois métropoles. Ne serait-il pas plus pertinent de tester tous les Français avant Noël ?
Pour Noël , se tester avant de voir des proches fragiles est une bonne chose. Au-delà, le plus important c’est de mettre en place une coordination efficace entre les tests, le traçage et l’isolement.
Qu’inspire la course aux vaccins dans le monde à la présidente d’Unitaid que vous êtes ?
La course aux vaccins est positive, et la découverte d’un vaccin si rapidement une réussite inédite. Mais n’oublions pas que la lutte contre la Covid-19 se joue au niveau mondial : si nous voulons que l’épidémie soit jugulée chez nous, nous devons nous assurer qu’elle le sera partout. Pour cela, nous devons faire des vaccins des biens publics mondiaux. La solidarité internationale n’est pas seulement une exigence éthique, elle est dans notre intérêt sanitaire et économique.
Cela suppose de travailler – ce que fait Unitaid – à l’accessibilité et à l’efficacité non seulement des vaccins, mais aussi des tests et des traitements partout dans le monde. Il y a eu une mobilisation internationale importante pour que la réponse à l’épidémie n’oublie pas les pays les plus pauvres et la France y a joué un rôle moteur. Elle est toutefois insuffisante sur le plan financier. Il faut mettre les bouchées doubles : il manque 4 milliards tout de suite, près de 24 milliards en 2021. Ce n’est pas insurmontable pour des pays riches qui mettent, chacun, des centaines de milliards dans leurs plans de relance .
Par Pierre-Alain Furbury